• Dans la salle où tous logeaient, il occupait un angle. Tout au début, il en était heureux. Il avait un toit au-dessus de la tête, une couverture, des compagnons. Mais lorsque jour après jour, il les vit faire cercle devant ses yeux, il se sentit exclu et il s’endormit immédiatement ; il était peut-être 16h à peine. Vers trois heures du matin alors que tous étaient assoupis, il prit ses cliques car il ne pouvait rien faire sans, et partit sans demander son reste, puisque ces gens-là n’avaient pas le sens du partage. Quant aux claques qu’il recevait quotidiennement, il fut content de les abandonner là en espérant qu'il ne tendrait plus jamais la joue, par réflexe.

    Ils mirent du temps à s’apercevoir de son départ. C’est un jour que deux d’entre eux ramenèrent une table à discours récupérée dans une ancienne université, qu’ils constatèrent que le bonhomme n’était plus là pour remplacer le 4e pied qui manquait.


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  • Les voiles des kytesurfers dessinaient des lunes dans le ciel brassé par le vent.


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  • Voici des mois que j'emménage dans une maison que nous n'avons pas tout à fait fini de restaurer. Même pas fini de tout transporter nos affaires. Entre un commerce et six enfants, des bricoles de nos parents gardées plus ou moins inutilement, ça c le fait d'être beaucoup, on se dit que ça servira tjrs à l'un ou à l'autre... bref, ça c'est horriblement accumulé.

    Donc, j'ai passé le dimanche à essayer de combler les retards de rangement et nous ne sommes pas sortis.

    J'ai quand même lu pendant mes petites pauses.

    Hier matin, rentrant à la maison vers 11h, l’un de mes garçons, 18 ans, me demanda où j’avais été. Je l’informai : acheter quelques fruits et légumes chez le marchand de primeurs, du café soluble au minisupermarché du quartier et puis, surtout, à la bibliothèque. Je lui annonçai avoir choisi pour son père l’écrit d’un Allemand qui racontait l’histoire d’un ouvrier qui avait voulu s’instruire et s’apercevait que les rivalités des gens d’université valaient bien celles des prolétaires, et aussi butait sur ce pouvoir des mots et des théories bien éloignées des préoccupations matérielles des ouvriers.

    Mon fils hocha la tête, d’abord se voulant compréhensif puis y renonçant, conclut, en harmonie involontaire avec le thème que je venais de citer : « Vous lisez trop »

    Je le reconnais et je n'en suis pas fière. Lire est mon vice. Je suis une hyperphage de lecture.

    C'est dû au fait que se sentant coupable de m'avoir fait tomber sur la tête par inadvertance, ma mère m'apprit à lire très très tôt pour voir si je fonctionnais bien. Dès que je sus à peu près, je m'envoyais les trucs de gosse d'alors, puis la bibliothèque visible de mes parents, et parallèlement celle qui était dissimulée dans leur chambre, quand ma mère s'absentait pour les commissions tandis que j'étais sensée faire mes devoirs. Je lisais sans arrêt, dirais-je, et quand je n'avais plus rien, lu jusqu'aux livres empruntés à la bibliothèque, je dévorais les livres de cuisine et quand je les connus trop par coeur, lors des moments de manque, je grignotai des bouts de trucs de mon père dont je ne comprenais rien de rien comme des machins sur les oscilloscopes ou sur les chambres à particules.

    Tout cela pour dire que c'était un peu comme une maladie.

    Hier, j'ai pensé à illustrer mon blog de trucs amusants quand il ne m'en vient plus, ce qui est le cas depuis que j'ai ouvert celui-ci.

    Je vous servirai donc quelques citations admirables et un peu de poésie.

    Une de circonstance, je ne sais si elle traîne sur le web, je l'ai trouvée dans ce qui sera mon missel, ces jours-ci, une compile de Jérôme Duhamel, le XXe siècle bête et méchant.

    Ces phrases sont de Charles de Gaulle:

     "Le 18 juin, l'Appel, tout ce "machin", il n'y avait aucune raison pour que ça marche. D'abord, ce jour-là, personne ne m'a entendu. Ensuite, heureusement, par miracle, personne n'a fait le rapprochement, mais c'était l'anniversaire de Waterloo."

    Voici un court poème du Russe Alexandre Kouchner traduit par Christine Zeytounian-Beloüs

    un peu désabusé

    L'être humain, paraît-il, est passé de mode.

    La philosophie étudie sérieusement le problème

    J'aimerais savoir ce que la nature va proposer à sa place.

    Je trouve que c'est un peu dommage,

    Mais pas au point d'en pleurer.

     


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  • Meurtriers sans visage de Henning Mankell (Suède)  ed. Christian Bourgeois


    De la désespérance résignée et solitaire , de la maladie qui sommeille et de l'angoisse plate pour ce polar que j'ai lu avec intérêt et rapidement car comme toujours chez les scandinaves, c'est très lisse, très lié, pas tellement de retours en arrière ni de digressions, juste deux enquêtes parallèles sur fond de problème d'immigration qui m'a l'air d'être primordial dans toute l'Europe. On y voit que les Suédois comme ailleurs, ont bien du mal avec les "étrangers" et reprochent à leur gouvernement un certain manque de rigueur dans leur manière de gérer la situation.


    J'ai apprécié les descriptions sobres de paysages et sentiments pourtant trop peu nombreux à mon goût.


    Extrait


    "Je suis vieux, se dit-il. Vieux et usé. Chaque matin en me réveillant, je m'étonne toujours autant d'avoir soixante-dix ans.


    Il regarde à l'extérieur dans cette nuit hivernale. C'est le 8 janvier 1990 et il n'a pas encore neigé, cet hiver-là, dans cette province méridionale de la Suède qu'est la Scanie. La lampe située au-dessus de la porte de la cuisine éclaire le jardin, le châtaignier dénudé er, au-delà, les champs. Il plisse des yeux pour regarder en direction de la ferme voisine, celle des Lövgren. Le long bâtiment blanc et bas est plongé dans l'obscurité. Une lampe jaune pêle brille au-dessus de l'écurie qui forme un angle droit avec la maison d'habitation. C'est là que se trouve la jument, dans son box, et c'est là qu'elle se met à hennir d'inquiétude, chaque nuit.


    ..................


    (à propos de sa femme qu'il vient d'entendre)


    Jadis, nous nous aimions, se dit-il. Mais il écarte aussitôt cette pensée. Aimer, c'est un trop grand mot. Il n'est pas fait pour des gens comme nous. Quelqu'un qui a été paysan pendant quarante ans, toujours plié en deux sur cette lourde argile de Scanie, n'utilise pas le mot amour pour parler de sa femme. Dans notre vie, l'amour a toujours été quelque chose de bien différent...


    Il observe la maison des voisins, plisse les yeux, essayant de percer les ténèbres de cette nuit d'hiver.


    Hennis donc, pense-t-il. Hennis dans ton box afin que je sache que tout est en ordre. Et que je puisse aller me recoucher un moment. La journée de l'agriculteur en retraite, tout perclus de douleurs est déjà bien assez longue et pénible comme ça."


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  • L'énigme de la pierre Oeil-de-Dragon de He Jiahong,  Ed de l'Aube (Aube noire)

    Ici le héros est un avocat de Pékin qui est aussi détective à la manière des romans noirs américains, soutenu dans ce rôle par sa mignonne jeune collaboratrice Song Jia.

    Le roman a des côtés très Rouletabille revu par Spielberg. Y est illustrée la superstition villageoise revue et corrigée successivement par les années rouges puis la nouvelle démocratie. Prétexte pour raconter des vies dont on dresse de brefs historiques lourds de passages difficiles, de frustrations, de désolation, mais chapeautés d'espoir et de renouveau. D'autant plus que le ton reste reste assez léger et qu'un peu d'humour jalonne l'histoire.

    Un sujet bien plus grave touchant aux débordements technologiques sur l'environnement reste dans l'ombre jusqu'à la fin.

    Extrait 

    "Mille pensées assaillaient Hong Jun (l'avocat-détective) tandis qu'il attendait, assis sur le siège arrière de sa voiture. L'homme, pensait-il, est capable de se fourvoyer de manière absurde de mille et une façons: c'est ce qu'on pourrait appeler "les domaines de l'errement humain". Dans une certaine mesure, on pourrait comparer ces domaines de la vie humaine aux terrains marécageux qu'on trouve dans la nature. Celui dont le comportement se dérègle peut encore se libérer s'il décide, le plus vite possible, de faire marche arrière; mais s'il est possédé, comme sous l'effet d'un charme, au point de perdre toute capacité de jugement, il ne peut que s'enfoncer encore et toujours jusqu'à un point de non-retour. Les domaines dans lesquels l'homme est capable de tous les excès sont légion: celui des richesses, celui du pouvoir ou bien des honneurs ou encore des plaisirs de la chair et autres objets de concupiscence. De plus, ces choses-là exercent sur l'homme une attraction et une fascination extraordinaire, auxquelles il lui est bien difficile de résister et qu'il est bien incapable de reconnaître comme telles. Certains cherchent par tous les moyens de se tenir à l'écart de ces terrains dangereux (ça me fait penser au film japonais Unloved mettant en scène Mitsuko, une jeune femme qui ne veut pas changer ni de classe ni de mode de vie) et d'autres y foncent, tête baissée, répétant ainsi, l'un après l'autre, la série des tragédies qui jalonnent la vie de l'homme ! En réalité, la vie n'offre pas à l'homme une infinité de solutions nouvelles, mais il appartient à chacun, selon sa nature, de répéter à sa façon l'histoire de ceux des générations qui l'ont précédé." 


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